mercredi 13 août 2008

Upe, le carcophage



LE UPE VOLE A NOUVEAU SUR UA HUKA
Disparu depuis plusieurs centaines d’années, le Carpophage des Marquises
(Ducula galeata) à été réintroduit à Ua Huka par la Société d'Ornithologie de Polynésie
Le Upe est un pigeon géant, les Anglo-saxons lui ont donné le nom de « Pigeon impérial des Marquises » et
ils ont bien raison. Sa taille (55 cm du bec à la queue !), les reflets gris, verts et rouges de son plumage, et
son cire spectaculaire (excroissance blanche et gris-noire située au sommet du bec) en font en effet
l’empereur incontesté de toute l’avifaune Polynésienne.
L’objectif de l'opération de réintroduction menée par la Société
d'Ornithologie de Polynésie "MANU" était d’établir une population de Upe sur
l’île de Ua Huka en y relâchant des individus capturés à Nuku Hiva, la
dernière île des Marquises hébergeant cette espèce en danger critique
d’extinction (encore une des merveilles de notre Fenua qui est menacée de
disparition).
Présent dans tout l'archipel des Marquises avant l'arrivée
des Polynésiens , ses ossements ont été retrouvés sur plusieurs
sites de fouille archéologique à Ua Huka, Hiva Oa et Tahuata
mais il a disparu de toutes les îles à l'exception de
Nuku Hiva. Il est cependant resté présent et
célébré dans les mythes marquisiens. Aujourd'hui le
Carpophage des Marquises est cantonné aux
vallées du nord-ouest de Nuku Hiva et nulle part
ailleurs. C'est donc un oiseau unique au monde
La chasse, la disparition des forêts locales, leur envahissement par les essences introduites et la prédation
exercée sur les nids par les rats noirs et les chats sont probablement à l’origine de sa raréfaction,
spectaculaire au cours du 19ème si l’on en croit les nombreux témoignages et souvenirs des anciens
recueillis sur place.
En 1975, l'importance numérique de la population était estimée à 300 ± 100 individus par Holyoak et
Thibault. Les deux recensements effectués en 93 et 98 par la Société Zoologique de San Diego et par le
CIRAD respectivement semblent indiquer que ses effectifs (compris entre 75 à 300 individus) restent faibles.
Une espèce menacée de disparition à moyen terme
La localisation de l'espèce à une seule île rend sa situation extrêmement fragile. En effet, l’arrivée d’une
maladie aviaire véhiculée soit par un pigeon ou une volaille d’élevage importé sur l’île de Nuku Hiva, soit
par un oiseau introduit vecteur (tel que le Merle des Moluques) pourrait provoquer la disparition brutale de
cette dernière population, sans parler des autres facteurs de disparition cités plus haut qui sont toujours
d’actualité sur l’île et qui menacent la survie de l’espèce.
Ces arguments ont conduit la SOP à proposer un programme de réintroduction du Upe à Ua Huka, afin de
constituer une seconde population et d'augmenter son aire de répartition tout comme cela a été réalisé par le
passé pour le Pihiti ou Lori des Marquises (Vini utramarina)
L'île de Ua Huka représente un refuge efficace pour les oiseaux en général et pour le Upe en particulier pour
plusieurs raisons:
1. Selon des arguments paléornithologiques, Steadman et Olson (1985) estiment que l'espèce était autrefois
présente à Ua Huka où ce fût une chasse trop intensive aux temps anciens qui provoqua son extinction.
2. Le domaine de Vaiviki sur l'île de Ua Huka a été classé zone protégée par le Gouvernement en 1997, et
J.Y. Meyer, J.C. Thibault et J. Evva s'accordent tous pour dire que cette zone présente un habitat
favorable à la survie de l'espèce.
3. Le maire de l'île, Mr Léon Lichtlé, et la population, déjà sensibilisés et fiers du rôle qu'ils ont joué dans la
sauvegarde du Pihiti, étaient prêt à accueillir le Upe et leur participation à ce projet était acquise.
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4. Il n'y a pas, pour le moment, de port de débarquement à quai des navires, ce qui prévient l'île de l'invasion
par le rat noir.
5. La présence et l'influence humaine y sont plus réduites que dans toutes les autres grandes îles des
Marquises.
Ainsi, l’opération de réintroduction, réalisée la Société d’Ornithologie de Polynésie "MANU" et souhaitée
par Léon Lichtlé depuis des années a enfin pu voir le jour grâce à un partenariat multiple entre plusieurs
organismes locaux et internationaux :
- la Société d’Ornithologie de Polynésie "MANU" (maître d’oeuvre de l’opération);
- messieurs Lucien Kimitete et Léon Lichtlé, respectivement maires de Nuku Hiva et de Ua Huka (Arrêté
n°35/00 du 10/04/00 autorisant ce transfert; et mise à la disposition de l’opération de moyen matériel et
humain importants);
- le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, Mission d’aide financière et de
coopération régionale (financement de l’opération au titre du FIDES déconcentré);
- le Ministère de l'Agriculture et de l'Elevage, Service du Développement Rural (mise à la disposition de
l’opération de moyen matériel et humain importants);
- le Ministère de l'Environnement, Délégation à l’environnement (appui et autorisation de capture : Arrêté
n°808/CM du 19/04/00);
- l'Université de Polynésie Française, Laboratoire de Biologie Animale conduit par Mr. Christian Herbaut
(accueil de C. Blanvillain en post doc)
- Programme Régional Océanien pour l’Environnement (coordination de la collaboration avec le
Départment of Conservation de Nouvelle Zélande)
- Départment of Conservation (D.O.C) de Nouvelle Zélande (détachement d’un spécialiste de la
translocation des pigeons).
Ajoutons à cela l’appui essentiel de trois sponsors locaux: AIR TAHITI, TOTAL et QUINCAILLERIE
TAIRAPU qui nous ont permis de baisser les coûts de l’opération de manière substantielle. De plus, AIR
TAHITI, chargée du transport des précieux Upe de l’île de Nuku Hiva à Ua Huka dans son Dornier 228, s’est
acquitté de cette tâche avec une disponibilité et une efficacité extraordinaire.
Après un séjour bien chargé de 15 jours début mai aux Marquises pour George Sanford (trésorier de la
S.O.P.) chargé de la double mission de construire dans chacune des deux îles les volières permettant de
maintenir temporairement les oiseaux en captivités et d’expliquer le pourquoi de l’opération aux populations
locales, et les premiers repérages sur le terrain effectué par Jean-Marc Salducci (Vice Président de la S.O.P.),
l’aventure a donc commencée pour Caroline Blanvillain (S.O.P. et U.P.F.), responsable de ce programme,
Mike Thorsen (D.O.C.) et Robert Sulpice (S.D.R. de Ua Huka) pendant un mois et demi.
Une aventure sous la forme d’une opération commando.
Les dernières importantes populations de Upe sont
localisées à 200 m d’altitude au fond de quelque vallées de
l'ouest et du nord de la caldeira externe de Nuku Hiva, qui
culmine à 1000-1200 m d’altitude. La plupart des
déplacements sollicitaient donc la mise en service de
muscles jusque-là tenus au repos, et les montées ou
descentes étaient particulièrement difficiles au début,
surtout avec le matériel de l’expédition: tente, filets pour
les captures, boites de transport pour les oiseaux,
aliments... Ajoutez à cela le camping dans un endroit
charmant mais infesté de moustiques et du fameux nono
des Marquises qui n’a pas faillit à sa réputation et s’est
empressé de se glisser partout sous les vêtements afin d’y laisser moult piqûres qui ont la particularité de
démanger si terriblement que vous vous en réveillez la nuit en vous grattant! Il faut alors désespérément
chercher à oublier ces démangeaisons, mais n’y comptez pas trop : la vallée est infestée d’une herbe locale
surnommée poil à gratter par les Marquisiens, c’est vous dire! Sans compter les trombes de pluies et les
tempêtes de vent qui ont détruit le campement à plusieurs reprises, les boites de conserve froides, le pain
moisi et le spectre de cet Américain mort l’année précédente à cause d’une chute nocturne dans la vallée où
nous étions installés.
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Dans cet univers sauvage et encaissé, vivait une
population de 10-12 Upe qu’il nous fallait capturer avec
nos filets ‘invisibles pour les oiseaux’. Or le Upe est un
oiseau calme et réfléchi, que je qualifierai aisément
‘d’intelligent’. Il vole peu et le plus souvent haut dans le
ciel et reste dans une zone située au sommet des arbres
les plus hauts, entre 15 et 30 mètres d’altitude, sauf pour
aller se régaler de goyaves qu’il avale généralement tout
rond. Non seulement l’oiseau, qui prenait toujours son
temps avant de se poser à un endroit donné, voyait les
filets et s’empressait de les éviter, mais il venait nous voir
lorsque nous avions le malheur de monter un filet pas
assez discrètement et évitait la zone par la suite ou s’y déplaçait avec beaucoup de méfiance...Il nous a donc
fallut employer mille ruses pour parvenir finalement à capturer 5 oiseaux (probablement deux couples et un
juvénile selon leurs mensurations et aspect): montage de filets tendus sur des cordes de 200 m passées de
part et d’autre de la vallée; montage de filets la nuit, dépose des filets pendant les journées ensoleillées,
déplacement nocturne des filets (plus haut, plus bas, plus à gauche...), mise en place de nouveaux filets (en
tout des filets ont été montés dans une vingtaine de sites différents), et devenir arboricole pour décrocher les
filets emmêlés aux sommet des arbres de part la force du vent. L’opération nous a aussi permis de collecter
des informations importantes sur la biologie de cet oiseau très peu connu (alimentation, dimensions, habitat,
occupation de l’habitat).
Pendant ce temps, du côté de la civilisation, Sylvestre
Peterano (S.D.R. de Nuku Hiva) relayé par George
Teikiteitetini (Commune de Nuku Hiva) venait une fois par
jour se poster au sommet de la caldeira pour nous ramener
sur Toovii (où était construite la volière) en cas de capture.
Les oiseaux étaient ainsi acheminés dans les plus bref délais
dans une volière aux parois recouvertes de draps blanc pour
les empêcher de se blesser sur les grilles. En général, après
deux jours d’acclimatation, ils se nourrissaient
spontanément de goyave, fei, fruit du pua enana, papaye et
mangue, mais deux d’entre eux ont du être gavés
manuellement jusqu’à leur relâché. Sauvages ils étaient et sauvages ils sont restés...
La logistique la plus lointaine était assuré de Tahiti par
Philippe Raust (S.O.P.) chargé de coordonner l’envoi de
matériel supplémentaire et les transferts d’oiseaux avec
Thérésa Padovese (Air Tahiti). Ainsi, cinq Upe ont pris le
vol régulier d’Air Tahiti pour Ua Huka. C’est bien la
première fois que les Upe prenaient leur envol de cette
manière là et le commandant de bord leur a même fait
visiter la cabine de pilotage !
Ils ont ensuite été mis en volière pendant quatre à quinze
jours puis relâchés en présence de Léon Lichtlé, ému aux
larmes, de nos trois équipiers fatigués mais heureux du
succès de cette opération si délicate, et d’un enfant de Ua Huka, venu là pour recevoir le legs au nom des
générations futures, un enfant émerveillé par la taille de l’oiseau et par sa beauté. La terre ne nous est pas
donné par nos parents, elle nous est prêtée par nos enfants....
Il faudra sans doute encore répéter l’opération une ou deux fois afin de permettre d’importer suffisamment
d’individus pour assurer une base génétique assez large à cette nouvelle population, donc revivre cette
aventure dans ces Marquises à la beauté époustouflante, mais en attendant, nous souhaitons à ces cinq
pionniers ailés d’avoir une nombreuse descendance.