mercredi 13 août 2008

Mon Papa à moi...Tahiti Pacifique


Mais où allons-nous donc ?

Permettez-nous de consacrer l’éditorial de ce mois-ci à un sujet qui dépasse la Polynésie, sans pour autant ne pas l’affecter. Il s’agit d’écologie, de l’état de la planète affectée par la folie, quasi collective de la race humaine, un problème qui est en train d’exploser et qui démontre à quel point les minables chamailleries pour le pouvoir de Tahiti sont puériles, voire ridicules si ce n’est grotesques. Encore, me direz-vous, on a déjà les Nicolas Hulot, José Bové et autres Guy Jacquet de “l’éco-business” qui nous matraquent et nous saoûlent. Pourtant, ces personnes ont en grande partie raison sur la nécessité de leur combat, même s’ils peuvent parfois paraître excessifs, d’autant plus qu’ils se battent contre des intérêts économiques énormes souvent défendus par des multinationales à l’appétit vorace. Pourtant depuis la fin 2004 le problème a pris une toute autre dimension : un phénomène absolument terrifiant se développe dont pratiquement personne ne veut se rendre compte de la gravité. Ce n’est que le mois passé (le 15 mai) que le gouvernement français l’a officialisé avec un article publié sur son site de science (Science.gouv.fr), alors que les Etats-Unis et les Allemands s’en inquiètent depuis deux ans.
Voilà le problème : fin 2006 et début 2007, les Etats-Unis tirent la sirène d’alarme : les abeilles disparaissent de manière massive et brutale. Et on découvre vite que ce phénomène se répète dans d’autres parties du monde. Perte de 60 % des colonies d’abeilles aux USA, jusqu’à 90 % dans certains états de l’Est et du Sud ; 40 % des ruches se sont vidées au Québec, 25 % des colonies sont décimées en Allemagne, mais aussi à Taiwan, en Suisse, au Portugal, en Grèce et dans de nombreux autres pays d’Europe.
Bon, allez-vous dire, on a des abeilles qui disparaissent, et alors en quoi cela me concerne, je me passerais de miel ? Mais non, car sans abeille il n’y a plus de pollinisation des cultures , il n’y a plus de fruits, de légumes, etc, ni de fleurs d’ailleurs. Le scientifique allemand Haefeker cite Albert Einstein : « Si l’abeille disparaissait de la surface de la terre, alors il ne restera à l’homme que quatre années à vivre. Sans abeilles il n’y a plus de pollinisation, plus de plantes, donc plus d’animaux, plus d’homme. »
Pour ceux qui ne comprennent pas ça et ne pensent que “moni”, disons qu’on estime que les pertes financières potentielles liées à la disparition actuelle des abeilles, rien que pour les Etats-Unis (le grenier du monde) aux alentour de 15 milliards de dollars. Dans le Mississipi, d’immenses champs se sont déjà retrouvée stériles (sans récolte) par manque de pollinisation. Cette catastrophe joue certainement un rôle, encore caché au public, dans l’explosion des cours des denrées.
Déjà en 1993, en France les apiculteurs accusaient une baisse importante de la production de miel. Ils pointent aussitôt du doigt l’utilisation du Gaucho, un insecticide de semence à base d’imidaclopride, récemment mis sur le marché. L’affaire fait grand bruit et les études scientifiques contradictoires se multiplient. Au final, il s’avère que l’imidaclopride est très toxique pour les abeilles, qu’il se retrouve dans le pollen des fleurs même s’il ne sert qu’à l’enrobage des semences et qu’il perdure dans les sols plusieurs années après. Après le Gaucho, le Régent est mis en cause et entre 1999 et 2006 et les deux sont progressivement interdits sur différentes cultures en France. Dans tous les cas, il est évident que les abeilles sont affaiblies par tous les insecticides systémiques répandus sur les cultures qui affectent le système nerveux des insectes.
Pour expliquer la nouvelle disparition soudaine de millions de colonies, on a tout étudié, les parasites acariens, les virus, la pollution, la restructuration des paysages, les champignons, la réduction de la biodiversité florale ainsi que les changements climatiques, même les rayonnements électromagnétiques de la téléphonie portable ! Or les dernières recherches tendent à montrer (ce n’est pas encore certain) que ce serait une combinaison entre l’utilisation des pesticides, herbicides et de plantes génétiquement modifiées qui ferait que le seuil de tolérance des abeilles aurait été dépassé, mais aussi celui d’autres insectes pollinisateurs dont certains sont en extinction. Surtout pointés sont des plantes génétiquement modifiées (luzerne, maïs, soja, etc.) qui comportent des gènes nocifs aux insectes, gènes qui se retrouvent dans le pollen voire le nectar de ces plantes qui sont ainsi introduits dans le cœur des ruches. Les abeilles sont ainsi exposées à des cocktails toxiques dont les effets ne se mesurent pas directement. Les scientifiques américains avouent avoir retrouvé plusieurs types de pesticides dans les ruches et personne ne sait exactement quelles sont les synergies qui peuvent en découler.
Quoi qu’il en soit, la situation est très grave et il faudra vite prendre des mesures. Et à Tahiti, qui dorénavant importe 80% de sa nourriture, que pouvons nous faire ? D’abord suivre le raisonnement de Léon Lichtlé, maire de Ua Huka, qui a créé voici 30 ans dans une vallée un arboratorium de 240 hectares, la pépinière de Vaikivi, une des îles les plus isolées au monde. Cet espace naturel protégé comporte une multitude d’arbres fruitiers introduits en éprouvette, l’idée étant justement de créer une réserve biologique à l’abri des pestes naturelles ou humaines afin de pouvoir éventuellement fournir des remplacements en cas de disparition d’espèces.
C’est pour cela que les autorités locales devraient en urgence passer un arrêt qui interdise l’introduction de graines et plantes génétiquement modifiées, mais aussi d’herbicides chimiques aux îles Marquises, et surtout rigoureusement renforcer cette mesure, bien plus difficile (voyez le désastre de la fourmi de feu). Il se peut que nos îles (pas Tahiti, bien trop polluée) et surtout Ua Huka, se retrouvent un jour dans la position de “sauveteur de l’humanité” grâce à la réserve de Ua Huka, ce qui redorerait bien le blason d’un pays actuellement plutôt connu pour la vénalité de ses politicards.
Ensuite aider les associations de sauvegarde de la nature qui ont manifesté à la Punaruu pour le nettoyage de cette vallée devenue une honte à cause du laxisme des officiels. Espérons qu’il y a là une prise de conscience forte et permanente. Il faut absolument réapprendre à respecter et soigner les terres car la nourriture vient d’elle uniquement, pas d’usines lointaines qui ne font que la transformer ou l’emballer.
Après avoir lu ceci, vous comprendrez aussi à quel point les chamailleries et appétits de pouvoir et d’argent de nos politiciens sont honteux voire abjects comparés aux vrais problèmes que nous sommes sur le point d’avoir à affronter.

Alex W. du PREL
directeur de la publication